LE JOURNAL TV

En fin de journée Anna regarde une nouvelle fois son portable. Aucun appel, aucun SMS.

Elle fut très heureuse de recevoir son message de midi, rassurée de savoir qu'il avait lu ce qu'elle avait essayé de lui dire : sa demande de prudence et, elle s'en rendez compte maintenant, l'expression de ses sentiments.

Elle se demandait même si elle n'avait pas exagéré en utilisant ce mot qu'elle avait habituellement tant de mal à entendre et à dire, mais qu'importait. Son coeur s'était exprimé à ce moment là, et c'est ce qui en fait était le plus important, surtout à ses yeux à lui qui ne parlait principalement qu'avec son coeur.

Rassurée de recevoir sa réponse et heureuse d'attendre son appel du soir.

A midi lors du repas, la tête encore dans les souvenirs de la nuit, elle n'avait pas prêté attention à ce terrible accident que les médias avaient évoqué. Un train percutant sur un passage à niveau une voiture et un camion citerne provoquant une terrible explosion, avec pour bilan deux morts.

Mais là dans sa chambre à 19 heures, seule, encore imprégnée de sa présence, l'inquiétude du matin la tenaillait de nouveau.

Elle essayait de se persuader qu'il avait eu un empêchement, ou même que son téléphone était simplement hors service. Elle pensait assez bien le connaître pour savoir qu'il cherchait toujours à tenir ses promesses.

Certainement était-il encore à son rendez-vous, il appellerait elle le savait, il suffisait d'être moins impatiente voilà tout.

19h45. Alors qu'Anna passait son dernier soir à Bordeaux avant de retrouver sa famille, au restaurant en compagnie de ses stagiaires, elle sursaute en recevant un SMS. Elle s'empresse d'en lire le contenu persuadé qu’il est de Marc. Elle est déçue en constatant qu’il provient de sa meilleure amie.

"Contacte-moi dès que tu peux, rapidement !"

Pourtant rien ne semble plus pressant à Anna que recevoir des nouvelles de celui qui lui a tant fait battre son cœur : son amie peut attendre.

20 heures. Pendant qu'à table on chante et arrose cette fin de stage, une boule envahit soudain son ventre lorsque que machinalement elle regarde le téléviseur au fond de la pièce où le journal télévisé annonce le drame de l'accident ferroviaire.

Elle n'entend pas les commentaires, mais la première chose qu'elle a remarqué dans la vision panoramique des lieux fait par le cameraman, c'est la présence d'une moto à proximité du passage à niveau.

Personne autour d'elle ne la voit changer, pourtant d'un coup d'un seul son sang s'est glacé, son coeur s’est presque arrêté de battre, alors que son esprit lie l'absence d'appel sur son portable avec la moto entraperçue sur ces images.

Le journal aborde déjà un autre sujet. Anna essaye de chasser ce sentiment confus qui sournoisement l'envahit, pour traduire l'angoisse de ce début de matinée en un cauchemar duquel elle cherche à se réveiller.

Avant de quitter Bordeaux, après avoir passé une nuit épouvantable, cherchant encore les traces de la présence de Marc avant de s'endormir, elle s’est éveillée en croyant avoir imaginé la soirée précédente et l'horrible impression de la journée écoulée. Après un dernier regard à cette chambre où tant de sa vie, tant de leur vie, a basculé, derrière elle Anna en referme définitivement la porte.

Dans la voiture sur le trajet de son retour, après qu’elle ait une fois de plus écouté les chansons de leur CD, elle entend à la radio une page d'information commentant l'accident ferroviaire.

Le speaker annonce :

"L'épouse du conducteur de la voiture décédé dans l'accident, a raconté comment un motard de passage n'a pas hésité un seul instant à prendre le risque de se sacrifier pour sauver ses deux enfants puis elle en suite. Comment dans les dernières secondes il l'a extraite de la voiture avant que ne se produise l'innévitable collision.

Comment elle s'en voulait de l'avoir fait tomber et de s'être enfuie sans même savoir ce qu'il devenait. Elle reste traumatisée de cette culpabilité qu'elle s'inflige.

Encore sous le choc de son corps en partie brûlé, les enquêteurs attendent sa sortie de l'hôpital pour en savoir plus. Les enfants eux ont été recueillis par leur famille, des gens du voyage, dont le camp se trouvait à quelques kilomètres du lieu du drame. Ni eux ni le conducteur du camion indemne n'ont vu ce qui c'était produit au moment du sauvetage.

A l'heure de cette édition, le feu qui a endommagé l'immatriculation de la moto n'a pas permis de savoir à qui elle appartient. L'intensité de l'explosion a fait fondre jusqu'aux gentes de l'auto, n'a pas non plus permis de retrouver le corps du conducteur de la voiture, ni celui du motard, en supposant que celui-ci ait succombé dans l'accident."

Anna choquée par ce qu’elle vient d’entendre et par ce qu’elle commence à comprendre, choisit de s'arrêter au premier parking qui se présente. Le brouillard qui envahit ses yeux, le noeud qui lui tord le ventre, ne lui permettent pas pour l'instant une conduite en toute sécurité.

Depuis hier soir bien sûr elle a essayé de le joindre, mais son téléphone ne répond pas.

Le doute et l'angoisse qui ont pris place en elle ne font que s'amplifier.

Alors qu'elle essaye de contenir au mieux le flot des émotions qui monte jusqu'à ses yeux, la soudaine vibration de son portable la fait sursauter.

Dans sa tête tout se bouscule : son portable n'est pas sur elle mais dans son sac à mains.

Où est le sac ?

Elle se souvient ! vite l'attrape derrière le siège passager.

Son coeur bat la chamade. Est ce que ça peut être lui qui appelle ?!

Anna sort son téléphone du sac, se trompe pour déverrouiller le clavier, et ne parvient pas à prendre l'appel à temps.

Lorsqu'enfin parvenant à se maîtriser elle lit sur son portable "un appel en absence", puis en identifie l'auteur, c'est finalement pour être de nouveau déçue.

Comme la veille, c'est encore sa meilleure amie qui a tenté de la joindre. Elle se souvient avoir oublié de la rappeler après ce repas de fin de stage, et elle ne se sent pas le courage de le faire maintenant

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